mar. 2014

Le livre entre papier et numérique


Cet article reprend l’intégralité du premier chapitre du livre numérique “Design et architecture de l’ebook”. Hybride de l’essai et du manuel, cet ebook tente de lier l’UX Design et la littérature numérique pour interroger l’ebook design, et tente de comprendre le contexte de travail et les techniques fondamentales de l’ebook designer.
Il est consultable en ligne et téléchargeable au format Epub, en version beta, depuis la page du projet.


"Il est intéressant d’observer que bien souvent une découverte technologique - comme celle de Gutenberg - fait progresser et non disparaître ce qu’elle est censée remplacer, en nous donnant conscience des vertus anciennes que nous aurions pu, sinon, négliger ou écarter comme de peu d’importance. […] Ceux qui considèrent le développement de l'informatique comme le diable incarné […] laissent la nostalgie prendre le pas sur l'expérience."

Alberto Manguel, "Une histoire de la lecture", p. 202

Persistance du livre papier

Qu’est-ce qui change avec le numérique ? Qu’est-ce qui ne change pas ?

Difficile aujourd’hui de faire la part entre ce qui a été adapté et ce qui a été radicalement modifié, ce qui a été seulement translaté et ce qui a été intégralement transformé, à tel point que l’on préférera toujours parler de la « révolution » numérique plutôt que d’une simple et seule évolution.

Dans le domaine des sciences de l’information, cette évolution a été mise en avant par un réseau de chercheurs connu sous le pseudonyme Roger T. Pédauque qui avance l’idée que chaque « nouveau » document, compris dans son sens le plus large, n’est finalement qu’une redocumentarisation ou « ré-imagination » des documents qui lui ont préexistés et dont il contient en substance les mêmes tendances : transmettre et prouver.

Roger T. Pédauque propose donc d’observer ces transformations du document en analysant ce dernier au travers d’une grille tridimensionnelle :

  • le Vu, c’est-à-dire la dimension anthropologique du document, sa forme, le rapport de notre corps et de nos sens à l’objet ;
  • le Lu, c’est-à-dire la dimension intellectuelle du document, le rapport de notre cerveau et de ses capacités de raisonnement au contenu du document ;
  • le Su, c’est-à-dire la dimension sociale du document, considéré comme medium, comme vecteur de sociabilité, dans la mesure où le document est une information qui doit pouvoir être “sue” dans un autre lieu, un autre moment, voire par d’autres personnes.

Cette grille d’analyse, résumée de manière évidemment très schématique ici, me permet d’introduire ce court ebook sur le livre numérique en soulignant justement la persistance du livre papier à l’heure actuelle.

Je suis ici éminemment redevable des réflexions de Jean-Michel Salaün sur l’économie du document, dont j’ai pu notamment m’imprégner lors de son cours en ligne sur le sujet. Ces réflexions, partant de la grille tridimensionnelle du document, me permettent de comprendre, à mon sens, comment le livre « résiste » dans son ultime redocumentarisation, à savoir son passage au livre numérique.

Un livre, comme tout document, possède une dimension anthropologique, le « Vu ». C’est d’ailleurs un des points les plus distinctifs entre le livre papier et le livre numérique. C’est aussi souvent la principale critique faite à ce dernier, qui supprime le volume du premier. Un livre possède évidemment également une dimension intellectuelle, le « Lu ». Il s’agit ici de son texte, qui avait quasiment toujours, jusqu’ici, été considéré comme allant de pair avec son support. Un livre possède enfin une dimension sociale, le « Su ». Cette dimension est celle de la lecture.

Or, ce que l’on constate aujourd’hui, c’est que ces trois dimensions du livre restent stables. Le livre se maintient radicalement dans cette unité, et le numérique ne vient que transposer, translater, déplacer, un objet dont on espérait qu’il allait être « éclaté » par son énième redocumentarisation.

Le livre papier devient, comme le souligne Milad Doueihi, un objet de résistance et un objet fétiche. En tant qu’objet du quotidien chargé de symbolique et d’une longue histoire de l’imprimé enveloppant des acquis juridiques, des pratiques sociologiques, des pratiques commerciales, le livre échappe encore au monde numérique.

L’expression « livre papier » n’est à ce titre utilisée ici que pour créer, au sein de la notion de livre, de l’espace pour la dimension numérique ; elle permet de créer en son versant le « livre numérique ». Elle pourra paraître pour beaucoup comme un pléonasme. La définition du livre donnée par Wikipédia renvoie d’ailleurs à la matérialité des pages « en papier ou en carton », tandis que la première définition normative que la page de l’encyclopédie collaborative donne est celle du Littré : « réunion de plusieurs feuilles servant de support à un texte manuscrit ou imprimé ». C’est dire si la principale persistance du livre est en fait celle du codex. Les technologies pour le livre sont maitrisées depuis bien longtemps, et le livre est devenu quasiment parfait, son utilisation naturelle. Presque six siècles d’imprimerie résistent devant la disparition du volume.

Plus encore, alors que beaucoup voyaient dans le numérique le paroxysme de la dimension intellectuelle (le « Lu »), celle des contenus, c’est toujours la dimension anthropologique qui domine et guide l’économie du livre aujourd’hui. En effet, cette dernière dimension est celle sur laquelle s’est construite l’édition, qui domine le « Lu » par un système de droit de la propriété intellectuelle (le texte n’est alors plus un bien non-rival pouvant être consulté par tous, tout le temps, et surtout librement) et le « Su » par un rythme imposé à l’écosystème du livre, celui des saisons et des rentrées littéraires (le livre n’est publié et donc connu du public que suivant des périodes précises dictées par l’édition).

Ainsi, malgré l’apparition de nombreux acteurs au bout de la chaîne du livre (et notamment Amazon et les plateformes de téléchargement d’Apple et de Google), c’est bien l’édition qui domine encore le livre, qu’il soit papier ou numérique.

L’édition a encore les commandes du livre, et c’est donc elle qui, pour l’instant, crée le terreau favorable à la persistance du modèle du livre papier.

Pour autant, cette résistance, il nous faut moins la percevoir comme une fatalité, le signe avant-coureur d’un échec retentissant (voire même inaperçu !), mais comme ce qu’il nous faut surmonter. Il me semble essentiel de passer par ces analyses et ces réflexions pour comprendre l’enjeu du design du livre numérique, qui ne peut s’amorcer sans une compréhension de ce qui est vraiment, justement, en jeu dans cette transformation.

A ce titre, les trois dimensions du document – le Vu, le Su, le Lu – serviront sans doute à son designer ou à son architecte pour concevoir un « neodocument » (pour reprendre le terme de Jean-Michel Salaün) qui réponde aux besoins et attentes de ses utilisateurs effectifs.

Résistance au numérique

Les six siècles d’existence du livre imprimé et son apparente réticence à entrer dans le monde numérique ne doivent pas pour autant nous laisser penser que le livre est immuable et intangible. Bien au contraire !

L’édition a toujours su innover pour trouver des nouveaux publics en s’appuyant justement sur la plasticité du livre et sa capacité à être transformé, tout en affrontant constamment les éventuelles persistances du livre et des habitudes de lecture.

Jean Sarzana et Alain Pierrot amorcent d’ailleurs leur très riche ouvrage Impressions numériques par l’énumération de ces différentes transformations : le livre grand format, le format de poche, les clubs du livre, les collections classiques grand public, le livre à 10 francs / 2€, l’apparition déjà du multimédia dans les années 1990, l’édition en kiosque, les lancements à l’américaine ou encore la vente en ligne. Ce sont toutes ces innovations et transformations qui ont permis au livre, dans son histoire récente, d’étendre son public et de diversifier son offre.

Le passage du livre au numérique n’est donc pas un phénomène si nouveau si on l’intègre dans l’histoire longue de ses transformations.

Cependant, une analyse du livre en fonction de ses transformations ne peut être que naïve si elle ne considère pas les réticences provenant plus largement de son écosystème. Oui le numérique n’est qu’une énième transformation du livre. Mais il est surtout une modification profonde et radicale de la chaîne du livre dans son intégralité. Le livre se fragmente, se virtualise, se propage. Cela pose certaines questions se distinguant de celles auxquelles l’écosystème du livre imprimé est confronté.

Mais ces questions ne sont pas même véritablement propres à l’édition. Elles soulignent un phénomène plus global : dans de nombreux domaines, nous en sommes encore à découvrir le numérique. Et par découvrir il faut bien entendre tout à la fois la crainte et la fascination. Certains domaines ont su s’adapter très vite pour en profiter, d’autres en sont sortis exsangues. Tous ces remous poussent certains à l’inaction : si j’entre dans cette mer déchaînée, où m’emmènera-t-elle ?

Pourtant, rien ne nous dit que le numérique est un phénomène externe, comme étranger, et intrusif. S’il peut noyer, il porte également celui qui sait s’y adapter. D’autant plus que le livre, de par sa double nature, est assez propice à s’adapter à ce nouveau monde.

La double nature du livre

Qu’est-ce qu’un livre en fin de compte ?

C’est la question qui revient dans la plupart des essais sur le livre numérique aujourd’hui : la notion est extraordinaire car, si elle semble désigner pour tous, et de manière assez consensuelle, les mêmes réalités - nous reconnaissons tous un livre quand nous en voyons un, même si celui-ci est numérique (!) - elle semble pour autant échapper à toute tentative de définition précise et unanime. Roger Chartier s’y était d’ailleurs tenté lors de l’un de ses cours au Collège de France en posant la question de la plus simple des manières. Qu’est-ce qu’un livre ?

Le livre revêt ainsi une double nature : celle d’une œuvre détachée de son support, œuvre immatérielle et incorporelle, et celle plus matérielle de l’objet livre, impliquant l’existence d’attributs qui en permettent la reconnaissance.

Si la distinction des deux natures n’avait pas d’implication éditoriale directe pour l’écosystème du livre imprimé, il n’en est plus de même pour le livre numérique qui, du fait de sa virtualisation, peine à répondre à la nature matérielle du livre. Ce sera d’ailleurs un des enjeux du designer de livre numérique de, non pas répondre à ces deux natures, mais bien plutôt à la fonction de ces deux natures, et de considérer la nature elle-même plurielle du livre numérique.

Avec le livre numérique, la définition du livre semble donc prendre une nouvelle tournure. Ou peut-être avons-nous considéré le livre jusqu’alors de manière trop restrictive. La remise en question de la double nature du livre amène d’une part les réflexions sur la nature du livre à se multiplier (et les nombreux essais sur le sujet essaient alors de se référer aux écrits de Kant ou encore de Diderot sur le sujet afin de tenter de comprendre si l’ebook d’aujourd’hui aurait été considéré comme un livre ou encore si nous ne pouvons pas retrouver dans le passé une définition universelle et intemporelle du livre qui intègre l’évolution que nous vivons aujourd’hui). Et cette remise en question amène d’autre part à distinguer très clairement le livre imprimé du livre numérique, parce qu’ils n’ont pas la même double nature.

La distinction peut paraître évidente. Elle aura néanmoins une importance cruciale pour l’ebook designer dont le travail devra nécessairement différer de celui du maquettiste, par exemple, du livre imprimé.

Le livre imprimé pourra ainsi être considéré comme l’inscription sur un support papier d’un discours et/ou d’un ensemble graphique. Ces éléments inscrits intègrent donc dans leur définition l’immobilité du support sur lequel ils sont fixés : en ce sens, il n’est pas possible de comprendre parmi cet ensemble graphique de la musique ou de la vidéo.

Cette matérialité propre au livre imprimé, comme nous avons pu le souligner, est d’ailleurs un pilier de l’identité de ce dernier, notamment désigné par sa couverture, c’est-à-dire son visage.

Le livre numérique nous paraît plus complexe car il n’a pas la longue histoire et les acquis techniques du livre imprimé. À ce titre, proposer une définition paraît présomptueux. On notera néanmoins que juridiquement, le livre n’est pas un contenu unique qui serait disponible sous différents supports, et que la loi fait donc une distinction de principe entre le livre imprimé et le livre numérique, plus précisément le livre numérisé.

Chaque support peut faire l’objet de droits différents et non d’une seule et unique autorisation d’exploitation. Ainsi livre numérisé et livre papier sont considérés comme des modes d’exploitation distincts d’une même œuvre, impliquant une séparation juridique très nette qui se manifeste notamment dans les contrats d’édition. Quand un auteur cède ses droits pour une exploitation papier, il n’est pas réputé les avoir cédés pour une exploitation numérique. Les juges maintiennent une distinction très nette entre les modes d’exploitation. Par conséquent, les usages des deux supports ne sont pas du tout régis de la même façon.

Il nous faut cependant bien distinguer ici le livre numérisé du livre numérique. Et cette distinction sera elle aussi essentielle pour le travail du designer d’ebook.

Le livre numérisé n’est pas créé, en quelque sorte, ex nihilo ou ab initio. Il est issu de la transposition, c’est-à-dire du changement de support, d’une œuvre imprimée qui lui préexiste. Ce titre, c’est un livre hybride, reprenant certaines caractéristiques du livre numérique, notamment la virtualité, et certains attributs du livre imprimé, notamment son aspect « fixe » et immobile.

Le livre numérique est au contraire une œuvre dont l’origine est la virtualité même, c’est-à-dire prenant dès sa création une forme informatique. Même quand il est issu d’un livre papier qui lui préexiste, l’ebook doit être comme “recréé” virtuellement.

Le livre numérique n’est d’ailleurs rien d’autre qu’un ensemble de fichiers informatiques. À ce titre, il constitue une étape nouvelle dans l’ordre documentaire.

Jean-Michel Salaün a ainsi proposé un découpage de cet ordre intégrant cette nouvelle étape et inspiré de la périodisation d’Alan Marshall fondée sur l’imprimé. L’histoire de l’écrit a donc connu l’âge du livre (Gutenberg au XIXème siècle) durant lequel l’imprimé dominant était le codex ; l’âge de la presse (XIXème) où la presse grand public s’est installée grâce au développement de l’imprimerie industrielle ; l’âge de la paperasse (XXème), correspondant au développement des imprimés administratifs et commerciaux, notamment lié à l’État-providence et facilité par les évolutions techniques des imprimeries ; et enfin la période actuelle que Jean-Michel Salaün intitule « l’âge des fichiers » (XXIème) avec l’explosion du numérique et la démocratisation progressive du web.

Cela ne signifie pas pour autant que le livre numérique vient remplacer le livre imprimé, ni même que les attributs du premier viennent supprimer radicalement ceux de l’imprimé. Que le livre imprimé soit un contenu clos, fixé sur un support, ne signifie pas pour autant que le livre numérique ne puisse avoir une forme aussi close et fixe. Le livre numérique, justement parce qu’il n’est pas clos, autorise l’auteur ou l’éditeur à en faire une œuvre figée. L’inverse n’est pas vrai pour le livre imprimé. Mais cette possibilité de faire une œuvre figée en se fondant sur une forme ouverte ne doit pas pour autant devenir la règle. Loin de là.

Le livre numérique échappe ainsi à la définition du fait de son incroyable pluralité : infinité des formes, infinités des possibilités, l’exception fait la règle et explique pourquoi il peut être difficile de trouver une définition générique pertinente.

Et parce que le livre numérique échappe à la définition, nous le pensons à partir du livre imprimé. C’est plus facile, plus confortable, moins risqué. Mais c’est aussi passer à côté de ce qu’est vraiment le livre numérique, c’est forcer sa forme et s’interdire de réfléchir à ce qu’il pourrait être, en se condamnant à le voir comme ce qu’il n’est pas.

Transition du livre homothétique et indépendance du livre numérique

Il ne s’agit pas pour moi ici de renier le livre imprimé, bien au contraire. La lecture sur écran n’a jamais interdit la lecture sur papier. Le numérique ne vient pas concurrencer l’imprimé, il vient l’élargir, lui offrir de nouvelles possibilités, de nouvelles perspectives, il vient affranchir l’œuvre de son support.

À ce titre, le livre numérisé, la forme dominante des ebooks à l’heure actuelle, permet une transition plus en douceur, permettant peut-être d’éviter une énième querelle des Anciens et des Modernes. Ce livre numérisé est dit homothétique : il reprend aussi fidèlement que possible les principales caractéristiques du livre imprimé.

Cette fidélité rassure le lecteur qui ne se sent pas complètement étranger à ce nouvel univers. Plus encore, il rassure également l’éditeur qui inscrit cette nouvelle étape dans une continuité plus claire, plus lisible, avec le livre imprimé.

Avec la numérisation, le livre ne s’affranchit de rien ici, si ce n’est de son support. Et c’est déjà un grand pas de fait en avant.

Pour autant, elle ne constitue pas une transformation si marquée dans ce qu’elle n’ouvre pas sur de nouvelles possibilités de concevoir le livre. La substance reste la même, seule la technique change. À ce titre, il est possible que le livre numérisé s’essouffle. Passer l’euphorie et la fascination pour la technique, il est sans doute probable que le lecteur retourne à ses habitudes, à ce qu’il connaît mieux, c’est-à-dire le livre imprimé. Peut-être faut-il ainsi voir le livre numérisé comme étant avant tout une transition.

Avec le livre numérique, et plus seulement numérisé, l’oeuvre semble s’affranchir dans une bien plus large mesure du support. L’oeuvre figée devient, avec le livre numérique, un flux. Or, le flux est tout à la fois mouvant et protéiforme.

Pourquoi l’enfermer alors dans une forme qu’on lui connaît déjà ?

Affranchir le livre numérique, c’est élargir la littérature au sens large du terme. C’est créer un espace numérique de créativité. Il demeure à ce titre essentiel, et notamment pour l’ebook designer, de garder à l’esprit les distinctions que nous venons de faire sur le livre numérique, le livre numérisé, le livre imprimé.

Le livre numérique offre de nouvelles interactivités, il permet d’échapper aux multiples conventions de l’imprimé et laisse en ce sens la part belle aux créateurs qui y retrouvent un espace de liberté qui n’est pas uniquement celui du discours. La liberté d’expression n’est en ce sens pas seulement la liberté de dire et d’écrire ce que l’on veut, c’est aussi s’exprimer de la manière que l’on souhaite.

En faisant cette part belle à l’inventivité, le livre numérique ne force pas pour autant l’éclatement du livre. Si aujourd’hui certains livres numériques sont plus proches d’une application web que du livre numérisé, cela n’implique pas que l’application soit la règle. L’enrichissement du livre — qui fera que l’on parle à plusieurs reprises de livre enrichi — permet d’ajouter des éléments numériques bienvenus à une forme finalement assez proche du livre homothétique. On se retrouvera alors étonné par les nouveaux contenus proposés par le livre (des vidéos, des bonus, une bande sonore, etc.), tout en restant rassuré par son respect de certaines conventions propres à l’imprimé.

Le livre sémantique : les mots derrière les mots

Le livre devient, avec le numérique, un ensemble de fichiers informatiques. Mais c’est dire qu’il devient aussi et surtout du *code. Or ce code use de mots qui ont leur propre sens dans ce contexte, et qui ont aussi leur propre importance.

Je crois que cette importance revêt une double dimension, à la fois celle du design et celle du catalogage. Donner du sens à la structure du livre sera en effet essentiel, nous le verrons plus précisément plus loin (dans le chapitre sur l’accessibilité), pour l’ebook designer. Mais je crois que nous pouvons déjà nous arrêter sur la dimension du catalogage, qui amène une des possibilités majeures du livre numérique : la recherche.

Il y a, derrière chaque mot du livre sémantique, d’autres mots qui viennent les décrire. Ces mots invisibles prennent à ma connaissance deux formes : les balises sémantiques et les métadonnées.

Les premières sont la structure même du livre, c’est-à-dire que cette structure est désormais capable de *dire ce qu’elle contient : les paragraphes ne sont plus seulement des chaînes de caractères quelconques, ils sont considérés comme des paragraphes par la machine elle-même pour qui cette notion revêt un sens. Aimé Césaire, libéré de ses chaînes (de caractères), (re)devient auteur, voire poète, car la machine le reconnaît comme tel. Nantes est un lieu et « la forme d’une ville » un titre.

Plus encore, avec les métadonnées, c’est l’accès au livre lui-même qui est facilité. Si bien que la conception de bonnes métadonnées devient un enjeu essentiel des maisons d’édition afin d’optimiser la visibilité de leurs ouvrages. Les métadonnées, utilisées pour définir l’ensemble des informations techniques et descriptives ajoutées aux documents pour mieux les qualifier, trouvent en effet leur origine dans les premiers catalogues de musées et de bibliothèques : l’avènement des ordinateurs a grandement étendu leur utilisation.

De manière générale, la transformation du livre en fichiers numériques facilite son exploitation par des logiciels. La plupart des logiciels de lecture d’ebook proposera ainsi une fonctionnalité de recherche plein texte, multipliant par là les modes d’accès au contenu.

Autant de nouveaux accès essentiels pour s’adapter à l’expérience de lecture de l’utilisateur, en particulier pour la lecture savante qui voit à son service de nombreux outils potentiels : analyse statistique, analyse sémantique, gestion des passages surlignés, gestion des notes, définition proposée de manière asynchrone, etc.

Désormais, le livre a sa propre autonomie : il pourrait se construire lui-même sans cesse en liant les données et métadonnées qui le constituent, en reliant entre eux des concepts similaires, en renvoyant de manière autonome d’une notion à une autre. C’est conférer une intelligence propre au livre, une intelligence qui autorise alors une expérience de lecture radicalement neuve et novatrice.


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